Nadia Matoub. Veuve de l’artiste et présidente de l’association Matoub Lounès Mémoire et Transmission
Une association a été créée pour la transmission de la mémoire de Lounès Matoub. Un gala-hommage est organisé ce soir à Paris. Son combat dans ce sens est passé en revue et elle évoque aussi les textes inédits en sa possession.
– Vous êtes aujourd’hui présidente d’une association qui œuvre pour la préservation de l’ouevre et de la mémoire de Matoub. Parlez-nous de cette nouvelle structure.
L’association Matoub Lounès Mémoire et Transmission a été créée fin 2017 en France. Elle est basée en France, mais nous projetons de faire une antenne en Algerie. Je suis une personne qui essaie de faire les choses prudemment.
J’agis au sein de cette structure en tant que militant dans le cadre associatif et aussi en tant que sa veuve. Aujourd’hui, via cette association, comme son nom l’indique, il s’agit d’œuvrer pour préserver la mémoire de Lounès qui a toujours porté celle de ceux qui se sont battus pour la liberté, comme son œuvre en témoigne.
Pour rester dans la fidélité de son combat, on doit préserver sa mémoire mais surtout ses idées. Il est important aussi faire en sorte que son œuvre soit connue : écrire sur lui ; traduire ses chansons ; écrire sa musique pour que tout soit disponible pour les générations futures. Il faut transmettre à l’humanité l’œuvre de Matoub Lounès.
– La Fondation Matoub existe depuis des années, qu’apporte cette nouvelle association de plus ? Peut-on s’attendre aujourd’hui à un éventuel rapprochement des deux structures ?
Un rapprochement s’est formalisé, mais il n’y a pas de discussion en cours. Il n’y a aucune contradiction entre les deux structures. On peut tous œuvrer autour de la mémoire de Lounès. J’ai ma propre façon de voir et de faire les choses.
Le but est de travailler pour l’entretien des idéaux de Lounès et d’empêcher leur perversion. C’est vrai qu’il y a eu beaucoup de souffrances dans le passé, mais j’ai envie d’aller de l’avant et de prendre ce passé comme une expérience qui a forgé en moi une force et une volonté de travail afin de contribuer au rayonnement du chemin de ceux qui ont consacré leur vie à la défense des libertés.
Femme écartée, j’ai regardé pendant de longues années tout ce qui se faisait autour de Lounès dans un coin sombre et je pense que le plus grave c’est d’être arrivée, à des moments, à douter de notre histoire d’amour. M’adresser à la justice et me battre pour mes droits s’inscrit dans la reconnaissance de mon histoire.
Ce qui ne veut pas dire par là que je ne peux pas faire de concession. Aujourd’hui, c’est un message que je souhaite faire passer à d’autres femmes pour faire valoir leurs droits les plus légitimes.
– Une pétition a été signée pour revendiquer la vérité sur l’assassinat de Lounès, «sinon c’est la rue», pour reprendre les dires de Malika Matoub… Un commentaire ?
Une pétition qui demande la vérité, je ne peux qu’adhérer. Je donnerai de ma force et de mon temps pour toute démarche qui va dans le sens de la vérité. Je reviens sur l’affaire de l’enquête sur l’assassinat. Tout est clos. Les lois sont claires, quand il n’existe pas d’élément nouveau, on ne peut pas rouvrir le procès.
En 2016, nous avons essayé de rouvrir le dossier. En 2008, avec mes sœurs, nous avons porté plainte pour tentative d’assassinat. Car c’était encore une façon pour nous de rouvrir l’enquête. Mais il n’y a malheureusement pas eu de suite à cette démarche, puisque le dossier était encore en cours.
Mais on a encore été entendues pour l’instruction. On a relaté ce qui s’était passé, ce que nous avons remarqué en tant que témoins et victimes. Le juge, disait-on, recommence l’instruction dès le départ. Tout le monde est suspect.
Et c’est ce que nous voulions. Mais quelques mois plus tard, on entend parler du procès. Donc cela dépassait la volonté de ceux qui voulaient vraiment travailler. Jamais les choses n’ont été faites jusqu’au bout.
Pourquoi, par exemple, on ne nous a jamais montré de photos, particulièrement à l’une de mes sœurs, blessée lors de l’attentat, qui était capable de reconnaître l’un des hommes armés ? Il y avait des failles importantes dans ce sens. Malgré tout, je garde espoir de savoir ce qui s’est passé le jour-là. Je ne perds pas espoir pour la vérité.
– Vingt ans plus tard, nous avons l’impression que vous commencez peu à peu à reprendre votre place même auprès des fans…
Les réactions des fans sont bonnes. Il faut savoir que je suis restée des années sans venir en Algérie. Il y a même eu des menaces de mort. Difficile d’affronter tout cet acharnement au lendemain de l’assassinat, même s’il n’y a pas d’âge pour supporter tout ces délires.
Mais la propagande ne marche pas éternellement. Le contact est aujourd’hui rétabli avec ceux qui ont cru un jour aux mensonges. Les gens finissent par reconnaître le vrai du faux, mais surtout la sincérité. D’ailleurs, la sincérité du verbe de Lounès en est la preuve.
A Marrakech, par exemple, où l’on m’a invitée tant que présidente de l’association, j’ai été surprise de voir que des manifestations et des activités se font sur la musique de Matoub ; des jeunes chanteurs du Rif ou d’ailleurs le connaissent et reprennent ses chansons.
Il est simplement le porte-drapeau du combat amazigh au Maroc et en Libye. Aujourd’hui, on parle du phénomène Matoub. Le temps n’a pas du tout d’emprise sur Matoub. Et je ne sais pas si quelqu’un serait capable d’expliquer comment il a atteint ce stade.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je n’ai pas précisé les 20 ans de disparition sur l’affiche du gala-hommage qui sera organisé au Bataclan, en France, ce soir. Aujourd’hui, je peux dire que je puise ma force de la relation, de l’amour partagé et du combat de Lounès. Ce que je fais, je le fais par conviction et pas seulement parce que je suis sa veuve.
Je ne me force pas, c’est surtout dans le respect et la fidélité du souvenir que j’agis. Aujourd’hui, je garde encore des traces de l’acharnement que j’ai vécu au lendemain de l’assassinat, mais l’essentiel pour moi est de me concentrer pour bien faire. Je dois concrétiser mes projets dans le cadre de l’association.
Le plus important est de travailler dans le sens de la mémoire de Lounès. En dépit des souffrances que j’ai vécues, je me dis qu’aujourd’hui, j’ai des projets et je suis obligée d’aller de l’avant.
– Vous organisez un concert-hommage à Paris ce soir. D’autres galas sont prévus en France. Quand pourrons assister, en Algérie, à des événements aussi grandioses pour l’artiste ?
Il est difficile d’organiser des activités ici, car les autorités dépassent leurs prérogatives. Il ne manque pas d’exemples de chanteurs empêchés de se produire car considérés comme «politiquement incorrects». Toute démarche est compliquée, car pour s’imposer, on doit le faire dans l’union.
C’est un rapport de force avec les autorités. A Paris, par exemple, il suffit de prendre contact avec la salle et de répondre à des conditions techniques et autres, mais ici, en Algérie, tout est soumis au contrôle. Bien évidemment, Matoub fait encore peur, car son message échappe aux autorités.
Ils peuvent contrôler une salle ou l’organisation d’un concert, mais nullement le message libérateur de Matoub Lounès. Comme chaque année, il y aura un recueillement sur sa tombe. Ceux qui l’aiment ont pris possession des lieux depuis vingt ans.
– Un cahier des textes écrits par Matoub est en votre possession. Des textes et des poèmes qu’il n’a pas eu le temps de chanter. Quel devenir pour ces textes ?
Les derniers textes ont été écrits au printemps 1998, quand il était en France pour l’enregistrement de son dernier album. Pour le moment, quatre textes ont été publiés et traduits par Yala Seddiki dans son livre Mon nom est combat. Certains textes sont finis et d’autres inachevés.
Certains sont difficiles à déchiffrer, mais ceux achevés peuvent être rendus publics. Cependant, pour rester dans le respect et la fidélité de son perfectionnisme, un important travail est indispensable avant toute publication.
Quand il écrivait, c’est vrai qu’il le faisait pour lui, pour extérioriser ce qu’il ressentait, mas aussi pour son public. Il faut que ceux qui l’aiment prennent connaissance de ce qu’il a laissé. Il existe 23 textes dont 9 traitent la thématique de l’amour et d’autres sont plus politiques.
Je peux vous dire qu’il a écrit une chanson en hommage à son père qu’il voulait interpréter avec la mélodie de Urissagh Ifuth Lawan. Pour le moment, nous ne sommes pas fixés sur la forme qui leur sera donnée.
– Deux ans après l’assassinat de Matoub, vous avez répondu négativement à une question sur le désir de refaire votre vie. Maintenez-vous cette position aujourd’hui ?
Aujourd’hui, je n’y pense absolument pas. Je me concentre sur mes études et les projets que j’espère réaliser.
– Des projets ?
Un projet de livre est en cours. Il y aura une part personnelle, mais je parlerai également de la condition de la femme et de la veuve. Si le premier s’est fait dans le précipitation, cette fois-ci j’aimerai prendre mon temps.
Je dirai les choses différemment et j’espère pouvoir le terminer d’ici un an et demi, car il faut savoir que je continue mes études en post-graduation. J’ai repris, à l’âge de 37 ans, mes études suspendues juste après mon mariage, en 1997.